À L’ÉCOLE DE L’ANGE
À L’ÉCOLE DE L’ANGE :
LES TROIS APPARITIONS DE 1916
Lucie venait d’avoir neuf ans, François à peine huit et Jacinthe n’avait alors que six ans. « Il arriva donc, raconte Lucie avec sa simplicité ordinaire, que nous allâmes, un jour, avec les brebis dans un terrain qui appartenait à mes parents, et qui se trouve au bas du Cabeço, du côté du levant. Ce terrain s’appelle “ Chousa Velha ”. Là, au milieu de la matinée, commença à tomber une pluie fine, qui ne mouillait guère plus que de la rosée. Nous montâmes la pente de la colline, suivis par nos brebis, à la recherche d’un rocher pour nous abriter.
« Ce fut alors que, pour la première fois, nous entrâmes dans cette grotte bénie. Elle se trouve au milieu d’une oliveraie qui appartient à mon parrain Anastase. On voit, de loin, le petit hameau où je suis née, la maison de mes parents et les autres hameaux de Casa Velha et de Eira da Pedra. Nous avons passé la journée à cet endroit, bien que la pluie eût cessé et que le soleil se fût montré de nouveau, brillant et clair. Nous prîmes notre repas et nous nous mîmes à réciter le chapelet, et je ne sais pas s’il n’a pas été l’un de ces chapelets que, dans notre empressement à jouer, nous récitions souvent en faisant passer les grains et disant seulement “ Je vous salue Marie ” et “ Notre Père ”. La prière terminée, nous commençâmes à jouer aux cailloux. »
1. PRINTEMPS 1916 : « Priez avec moi ! »
« Nous étions en train de jouer depuis quelque temps, lorsqu’un vent violent secoua les arbres, et nous fit lever la tête pour voir ce qui arrivait, car le temps était serein. Nous aperçûmes alors, à une certaine distance, au-dessus des arbres qui s’étendaient du côté du levant, une lumière plus blanche que la neige, qui avait la forme d’un jeune homme de quatorze ou quinze ans. Elle était transparente, plus brillante qu’un cristal traversé par les rayons du soleil, et d’une grande beauté. À mesure que cette apparition approchait, nous distinguions mieux ses traits. Nous étions tout surpris, impressionnés, et nous ne disions mot.
« En arrivant près de nous, cet être mystérieux nous dit :
–Ne craignez pas ! Je suis l’Ange de la Paix. Priez avec moi !
« Il s’agenouilla à terre, et courba le front jusqu’au sol. Poussés par un mouvement surnaturel, nous l’imitâmes, et nous répétâmes les paroles
que nous lui entendions prononcer :
que nous lui entendions prononcer :
« Mon Dieu, je crois, j’adore, j’espère et je vous aime ! Je vous demande pardon pour ceux qui ne croient pas, qui n’adorent pas, qui n’espèrent pas, qui ne vous aiment pas !
« Après avoir répété trois fois cette prière, il se releva et nous dit :
–Priez ainsi ! Les Cœurs de Jésus et de Marie sont attentifs à la voix de vos supplications.
« Et il disparut.
« L’atmosphère surnaturelle qui nous enveloppait était si intense que nous n’avions presque plus conscience de notre propre existence. Pendant longtemps nous demeurâmes dans la position où il nous avait laissés, répétant sans cesse la même prière. Ensuite, le sentiment de la présence de Dieu demeura si intense que nous n’osions pas parler, même entre nous. Le jour suivant, notre esprit était encore pénétré de cette atmosphère surnaturelle, qui ne disparut que très lentement.
« Aucun de nous n’eut l’idée de parler de cette apparition, ni d’en recommander le secret aux autres. Elle l’imposait par elle-même. Elle était si intime, qu’il n’était pas facile de l’exprimer par des paroles. Elle nous fit peut-être plus d’impression parce que c’était la première.
« Pendant l’apparition de l’Ange, François se prosterna, comme sa sœur et moi-même, mû par la force surnaturelle qui nous y poussait tous trois ; mais la prière, il l’apprit en nous entendant la répéter, car il disait n’avoir rien entendu des paroles de l’Ange.
« Lorsque dans la suite, nous nous prosternions pour dire cette prière, c’était lui le premier qui se fatiguait de cette position, mais il restait à genoux ou assis, priant ainsi jusqu’à ce que nous terminions. Après, il disait :
– Je ne suis pas capable de rester dans cette position aussi longtemps que vous. J’ai si mal au dos que je n’en peux plus. »
Ainsi, en quelques instants, un bel Ange descendu du Ciel venait ouvrir toute grande l’âme de trois petits bergers, aux réalités surnaturelles. La présence de cet être céleste, mystérieux, mais paisible, bienfaisant, déjà si attirant par sa beauté et sa simplicité, transfigura définitivement, aux yeux des enfants, le Cabeço. Dès lors, ce lieu leur rappela sans cesse, jusque dans les moindres détails, la visite de l’Ange.
Mais leur âme, surtout, fut à jamais impressionnée par le rayonnement intense et intime de cet être de lumière. Nos pastoureaux n’avaient fait que le contempler, l’écouter, l’imiter, subjugués par le doux attrait qui émanait de lui. Combien de temps dura cette apparition angélique ? Quelques minutes tout au plus… Cependant, elle opéra dans l’âme de nos jeunes amis une transformation radicale qu’ils ne pouvaient s’expliquer, quoiqu’ils la ressentissent confusément.
Après son départ, l’Ange laissait à ses confidents une très riche prière et des grâces intimes : « La paix et la joie que nous éprouvions, dit Lucie, étaient grandes, mais seulement intérieures ; notre âme était complètement concentrée en Dieu. L’abattement physique qui nous prostrait était grand aussi. »
Toutefois, au bout de quelques jours, les enfants retrouvèrent leur état naturel. Amusements, chansons, danses reprirent comme auparavant. Seul, le désir de s’éloigner des autres bergers persistait, ou plutôt, augmentait. C’était le Ciel qui conservait ainsi dans l’âme des pastoureaux le parfum de la visite de l’Ange et les préparait à le revoir bientôt.
2. ÉTÉ 1916 : « Offrez sans cesse au Très-Haut des prières et des sacrifices ! »
L’été arriva, avec sa chaleur brûlante, qui desséchait la campagne. Aussi faisait-on sortir les brebis dès le petit jour pour les faire profiter des heures fraîches et de l’herbe encore humide de rosée. Mais quand la canicule leur ôtait l’appétit, on les reconduisait à la bergerie, pour les faire sortir de nouveau seulement aux approches de la nuit. Lucie, François et Jacinthe employaient les heures les plus accablantes à se reposer et à jouer à l’ombre accueillante des figuiers ou bien, quand l’air devenait moins étouffant, sous le feuillage découpé des oliviers et des pruniers qui entouraient le puits.
Ce fut là, en ce lieu appelé l’Arneiro, qu’un jour, à l’heure de la sieste, le céleste Messager se montra pour la deuxième fois aux enfants qui étaient en train de jouer sur le puits.
« Soudain, raconte Lucie, nous vîmes le même Ange près de nous.
–Que faites-vous ? nous dit-il. Priez, priez beaucoup ! Les Saints Cœurs de Jésus et de Marie ont sur vous des desseins de miséricorde. Offrez sans cesse au Très-Haut des prières et des sacrifices.
–Comment devons-nous nous sacrifier ? demandai-je.
– De tout ce que vous pourrez, offrez à Dieu un sacrifice, en acte de réparation pour les péchés par lesquels Il est offensé, et de supplication pour la conversion des pécheurs. De cette manière, vous attirerez la paix sur votre patrie. Je suis son Ange gardien, l’Ange du Portugal. Surtout, acceptez et supportez avec soumission les souffrances que le Seigneur vous enverra. »
De même qu’au cours de l’apparition précédente, François n’avait rien entendu. Aussi, quelques instants après, il interrogea Lucie :
« Tu as parlé avec l’Ange, qu’est-ce qu’il t’a dit ?
– Tu ne l’as pas entendu ?
– Non, j’ai vu qu’il te parlait et j’ai entendu ce que tu lui as répondu, mais je ne sais pas ce qu’il t’a dit. »
Lucie, encore toute pénétrée de l’atmosphère surnaturelle dans laquelle l’Ange les laissait, le pria d’attendre ou de questionner Jacinthe.
« Jacinthe, raconte-moi, toi, ce que l’Ange a dit », insista François sans plus tarder.
Mais Jacinthe n’avait pas davantage la force de prononcer un seul mot sur cet événement singulier.
« Je te le dirai demain. Aujourd’hui, je ne peux pas parler. »
Le lendemain, lorsque François arriva près de Lucie, il lui demanda :
« As-tu dormi cette nuit ? Moi, j’ai sans cesse pensé à l’Ange et à ce qu’il a pu dire.
« Je lui racontai alors ce que l’Ange avait dit au cours des deux apparitions, poursuit Lucie. Mais il ne paraissait pas comprendre la signification des paroles de l’Ange et s’étonna :
– Qui est le Très-Haut ? Que veut dire :Les Cœurs de Jésus et de Marie sont attentifs à la voix de vos supplications ?
« Lorsqu’il obtenait la réponse, il demeurait pensif et posait aussitôt une autre question. Mais mon esprit n’était pas encore bien libre à ce moment et je lui dis d’attendre le lendemain, parce que je ne pouvais pas encore facilement parler. Il se résigna d’abord quelque temps à attendre. Mais à la première occasion, il me posa de nouvelles questions, ce qui fit dire à Jacinthe :
– Écoute, ne parle pas trop de ces choses !
« Lorsque nous parlions de l’Ange, je ne sais ce que nous éprouvions. Jacinthe me disait :
– Je ne sais pas ce qui m’arrive, je ne peux ni parler, ni jouer, ni chanter, et je n’ai de force pour rien !
– Moi non plus, répondait François. Mais qu’importe ! L’Ange est plus beau que tout cela. Pensons à lui ! »
« Priez, priez beaucoup ! Offrez sans cesse au Très-Haut des prières et des sacrifices ! » Ces mots, que les deux petites avaient entendus de la bouche de l’Ange, et qu’elles avaient répétés à François, s’étaient profondément gravés dans leur esprit.
« Ces paroles, nous dit Lucie, étaient comme une lumière qui nous faisait comprendre qui est Dieu, combien Il nous aime et veut être aimé de nous, la valeur du sacrifice et combien celui-ci Lui est agréable, comment, par égard pour lui, Dieu convertit les pécheurs. C’est pourquoi, dès ce moment, nous avons commencé à offrir au Seigneur tout ce qui nous mortifiait, mais sans chercher à nous imposer d’autres mortifications ou pénitences, à l’exception des heures que nous passions, prosternés jusqu’au sol, à répéter la prière que l’Ange nous avait apprise. Nous restions longtemps prosternés, répétant cette prière parfois jusqu’à tomber de fatigue. »
3. AUTOMNE 1916 : « Consolez votre Dieu ! »
L’automne approchait. Les vendanges furent vite faites dans cette région où les vignes étaient rares. Le soleil était moins ardent et les enfants passaient de nouveau toute la journée avec les brebis. Alors, l’Ange revint vers eux. Pour la dernière fois.
« La troisième apparition a dû avoir lieu en octobre, ou fin septembre, parce que nous n’allions déjà plus passer les heures de sieste à la maison, raconte Lucie.
« Après avoir pris notre repas, nous nous mîmes d’accord pour aller prier à la grotte qui est située de l’autre côté de la colline. Il nous fallut donc contourner la pente de cette colline et escalader quelques rochers qui se trouvent en haut de la “ Pregueira ”. Les brebis réussirent à passer, non sans difficulté. Dès que nous fûmes arrivés, nous agenouillant, le visage contre terre, nous nous sommes mis à réciter la prière de l’Ange : “ Mon Dieu, je crois, j’adore, j’espère et je vous aime ”, etc.
« Je ne sais combien de fois nous avions répété cette prière lorsque nous vîmes briller au-dessus de nous une lumière inconnue. Nous nous sommes relevés pour voir ce qui se passait et nous avons revu l’Ange qui tenait dans sa main gauche un calice sur lequel était suspendue une Hostie de laquelle tombaient quelques gouttes de Sang dans le calice.
« Laissant le Calice et l’Hostie suspendus en l’air, il se prosterna près de nous jusqu’à terre et répéta trois fois cette prière :
« Très Sainte Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, je vous adore profondément, et je vous offre le très précieux Corps, Sang, Âme et Divinité de Jésus-Christ, présent dans tous les tabernacles de la terre, en réparation des outrages, sacrilèges et indifférences par lesquels Il est lui-même offensé. Par les mérites infinis de son très Saint Cœur et du Cœur Immaculé de Marie, je vous demande la conversion des pauvres pécheurs.
« Puis, se relevant, il prit de nouveau dans ses mains le Calice et l’Hostie. Il me donna la Sainte Hostie et partagea le Sang du calice entre François et Jacinthe en disant en même temps :
–Mangez et buvez le Corps et le Sang de Jésus-Christ, horriblement outragé par les hommes ingrats. Réparez leurs crimes et consolez votre Dieu.
« Il se prosterna de nouveau jusqu’à terre et répéta avec nous encore trois fois la même prière : “ Très Sainte Trinité… ”, etc., puis il disparut.
« Poussés par la force du surnaturel qui nous enveloppait, nous avons imité l’Ange en tout, c’est-à-dire que nous nous sommes prosternés comme lui et avons répété les prières qu’il disait… Nous sommes restés dans la même attitude, répétant toujours les mêmes paroles. Ce fut François qui se rendit compte que la nuit approchait. Ce fut lui qui nous en avertit et pensa à reconduire notre troupeau à la maison. »
Comme après les deux premières apparitions, le besoin de silence se faisait impérieusement sentir aux trois enfants.
« Dans la troisième apparition, confie Lucie, la présence du surnaturel fut encore plus intense. Pendant plusieurs jours, même François n’osait plus parler. Il disait plus tard :
– J’aime beaucoup voir l’Ange, mais le pire c’est que, après, nous sommes incapables de faire quoi que ce soit. Je ne pouvais même plus marcher, je ne sais pas ce que j’avais.
« Après quelques jours, et lorsque nous eûmes retrouvé notre tat normal, François me demanda :
– L’Ange t’a donné, à toi, la sainte Communion, mais à moi et à Jacinthe, qu’est-ce qu’il a donné ?
« Et Jacinthe aussitôt, débordant d’une joie qu’elle ne pouvait contenir, lui répondit :
– Mais c’est aussi la sainte Communion ! Tu n’as donc pas vu que c’était le Sang qui tombait de l’Hostie ?
« Alors François, comme s’éveillant d’un rêve, lui dit :
– Je sentais que Dieu était en moi, mais je ne savais pas comment cela s’était fait.
« Et se prosternant à terre, avec sa petite sœur, il demeura très longtemps à répéter la prière de l’Ange : “ Très Sainte Trinité… ” »
L’Ange avait donc introduit les pastoureaux dans un monde dont ils n’avaient auparavant qu’une idée assez vague et enfantine. L’image qu’ils se faisaient de Dieu était maintenant incomparablement plus haute, et plus grande aussi leur horreur du péché. Tandis qu’avant la visite de l’Ange, leurs principales activités étaient les jeux et les besognes quotidiennes qui remplissent habituellement une vie d’enfant, désormais deux préoccupations nouvelles fixaient leur entière attention et envahissaient progressivement tout leur cœur : offrir à Dieu prières et sacrifices.
Jacinthe et François, qui n’avaient pas encore fait leur Première Communion, l’avaient donc faite des mains de l’Ange, dans une simplicité toute surnaturelle. En buvant le Précieux Sang du calice, tandis que leur cousine communiait à la Sainte Hostie, ils reçurent Jésus-Eucharistie. Notre-Seigneur, en bon Pasteur soucieux de ses petites brebis, voulut être lui-même leur force pour les aider à accomplir leur vocation. Vocation de consolateurs des Saints Cœurs de Jésus et de Marie, et de convertisseurs des pécheurs.
Extraits de Francisco et Jacinta, si petits et si grands !, p. 53-73.
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