Je suis du Ciel - Récitez le chapelet tous les jours
DIMANCHE 13 MAI 1917 :
« Je suis du Ciel »
Malgré les épreuves de la famille dos Santos, les trois enfants, après les apparitions de l’Ange, avaient repris, au fil des mois, leur vie simple et gaie, avec le même entrain et la même liberté d’esprit qu’autrefois. Les pluies d’avril, après les jours froids et venteux de l’hiver, donnèrent une nouvelle impulsion à la végétation de la Serra. Vint le mois de mai, le mois des fleurs, le mois consacré à Marie.
Ce fut le 13 de ce mois, que la très Sainte Vierge vint embaumer de son parfum céleste notre pauvre terre désolée.
C’était le dimanche qui précédait la fête de l’Ascension. Comme d’habitude, les bergers, avant de sortir avec les brebis, s’étaient rendus tôt matin à l’église paroissiale pour entendre la première messe dominicale.
De son côté, Ti Marto, le père de François et de Jacinthe, avait préparé sa charrette de grand matin, car il voulait emmener sa femme, Olimpia, à Batalha.
Vers le milieu de la matinée, les enfants sortirent leurs brebis de l’étable.
« Comme lieu de pâturage, raconte Lucie, nous avons choisi ce jour-là, par hasard, ou plutôt, selon un dessein de la Providence, la propriété appartenant à mes parents, appelée la Cova da Iria. Il nous fallait pour cela traverser un terrain inculte, ce qui doubla notre parcours. Nous devions donc aller lentement afin que les brebis puissent paître en chemin et, ainsi, nous arrivâmes vers midi. »
Après avoir pris leur repas et récité le chapelet, ils poussèrent les brebis un peu plus haut sur la colline et s’amusèrent à construire un petit mur encerclant un buisson.
« Soudain, dit Lucie, nous vîmes comme un éclair.
– Il vaut mieux retourner à la maison, dis-je à mes cousins, car voici des éclairs, il pourrait venir de l’orage.
– Oh, oui !
« Et nous commençâmes à descendre la pente, poussant les brebis en direction de la route. En arrivant plus ou moins à la moitié de la pente, à peu près de la hauteur d’un grand chêne-vert qui se trouvait là, nous vîmes un autre éclair et, après avoir fait encore quelques pas, nous vîmes, sur un petit chêne-vert, une Dame, toute vêtue de blanc, plus brillante que le soleil, irradiant une lumière plus claire et plus intense qu’un verre de cristal rempli d’eau cristalline traversé par les rayons du soleil le plus ardent. Nous nous arrêtâmes, surpris par cette Apparition. Nous étions si près que nous nous trouvions dans la lumière qui l’entourait, ou plutôt qui émanait d’Elle, peut-être à un mètre et demi de distance, plus ou moins.
« Alors, Notre-Dame nous dit :
–N’ayez pas peur, je ne vous ferai pas de mal.
–D’où vient Votre Grâce ? lui demandai-je.
–Je suis du Ciel.
– Et que veut de moi Votre Grâce ?
–Je suis venue vous demander de venir ici pendant six mois de suite, le 13, à cette même heure. Ensuite, je vous dirai qui je suis et ce je veux. Après, je reviendrai encore ici une septième fois.
–Et moi aussi, est-ce que j’irai au Ciel ?
–Oui, tu iras.
–Et Jacinthe ?
–Aussi.
–Et François ?
–Aussi, mais il devra réciter beaucoup de chapelets.
« Je me souvins alors de poser une question au sujet de deux jeunes filles qui étaient mortes depuis peu. Elles étaient mes amies et elles venaient à la maison apprendre à tisser avec ma sœur aînée.
–Est-ce que Maria das Neves est déjà au Ciel ?
–Oui, elle y est.
« Il me semble qu’elle devait avoir environ seize ans.
–Et Amélia ?
–Elle sera au Purgatoire jusqu’à la fin du monde.
« Il me semble qu’elle devait avoir entre dix-huit et vingt ans. »
Quel coup ! Les yeux de Lucie se remplirent de larmes. C’est alors que Notre-Dame, telle une mère affligée, adressa aux enfants sa requête, avec une politesse exquise :
« Voulez-vous vous offrir à Dieu pour supporter toutes les souffrances qu’Il voudra vous envoyer, en acte de réparation pour les péchés par lesquels Il est offensé, et de supplication pour la conversion des pécheurs ?
–Oui, nous le voulons.
–Vous aurez alors beaucoup à souffrir, mais la grâce de Dieu sera votre réconfort.
« C’est en prononçant ces dernières paroles (la grâce de Dieu, etc.) que Notre-Dame ouvrit les mains pour la première fois et nous communiqua, comme par un reflet qui émanait d’elles, une lumière si intense que, pénétrant notre cœur et jusqu’au plus profond de notre âme, elle nous faisait nous voir nous-mêmes en Dieu, qui était cette lumière, plus clairement que nous nous voyons dans le meilleur des miroirs.
« Alors, par une impulsion intime qui nous était communiquée, nous tombâmes à genoux et nous répétions intérieurement : “ Ô Très Sainte Trinité, je Vous adore. Mon Dieu, mon Dieu, je Vous aime dans le Très Saint-Sacrement. ”
« Les premiers moments passés, Notre-Dame ajouta :
–Récitez le chapelet tous les jours afin d’obtenir la paix pour le monde et la fin de la guerre.
–Pouvez-vous me dire si la guerre durera encore longtemps, ou si elle va bientôt finir ?
–Je ne puis te le dire encore, tant que je ne t’ai pas dit aussi ce que je veux.
« Ensuite, elle commença à s’élever doucement, en direction du levant, jusqu’à disparaître dans l’immensité du ciel. La lumière qui l’environnait semblait lui ouvrir un passage entre les astres, ce qui nous a fait dire parfois que nous avions vu s’ouvrir le ciel. »
Les trois petits demeurèrent encore quelque temps comme fascinés, les yeux levés vers le ciel, fixant le point où la céleste vision avait disparu.
Quand ils revinrent à eux, et jetèrent un regard alentour pour voir où étaient les brebis, ils constatèrent avec joie qu’elles continuaient à brouter tranquillement, à l’ombre des chênes-verts, l’herbe qui croissait parmi les genêts épineux.
Cette fois, sans craindre l’orage, ils passèrent l’après-midi à se remémorer et à savourer les moindres détails de cet événement extraordinaire.
« L’apparition de Notre-Dame vint de nouveau nous plonger dans le surnaturel, confie Lucie, mais d’une manière beaucoup plus suave que les apparitions de l’Ange. Au lieu de cet anéantissement en la divine présence, qui nous prostrait, même physiquement, celle-ci nous laissa une paix, une joie expansive qui ne nous empêchait pas de parler ensuite de ce qui s’était passé. »
Une allégresse exubérante débordait particulièrement du cœur de Jacinthe.
« Oh ! La belle Dame ! » s’écriait-elle de temps à autre avec enthousiasme ! restant surtout sur l’impression de la beauté incroyable de l’Apparition.
Lucie, elle, répétait et méditait les paroles qu’avec une tristesse si poignante la Sainte Vierge lui avait dites : « Voulez-vous vous offrir à Dieu pour supporter toutes les souffrances qu’Il voudra vous envoyer, en réparation pour les péchés qui l’offensent ?… Vous aurez beaucoup à souffrir… » Et son amie Amélia qui devait rester au Purgatoire « jusqu’à la fin du monde » !… dans ce feu terrible qui purifie les pauvres âmes pour leur permettre d’entrer au Ciel.
Dans le hameau, les quelques personnes qui avaient connu Amélia, avaient eu la discrétion de ne pas ébruiter le drame lamentable qui lui était arrivé, l’irrémédiable déshonneur qui avait souillé sa chasteté.
« Oh ! quelle belle Dame ! » lança de nouveau Jacinthe, les yeux brillants de joie.
« Je vois bien, devina Lucie, que tu vas en parler à quelqu’un !
– Non, non ! Je ne dirai rien ! Ne t’inquiète pas ! »
François, de son côté, restait songeur… Il n’avait pas entendu les paroles de la Vierge. Sa petite sœur et sa cousine, remplies d’une certaine vivacité expansive, d’une joie immense et d’une allégresse communicative qui leur rendaient la parole facile, lui racontèrent tout ce que Notre-Dame avait dit. Et lui, heureux, manifestant la joie qu’il ressentait de la promesse qu’il irait au Ciel, croisa les mains sur sa poitrine et dit :
« Ô ma Notre-Dame ! Des chapelets, j’en réciterai autant que vous voudrez ! »
Le soleil déclinait déjà. Les enfants rassemblèrent en hâte les brebis et prirent le chemin du retour. Mais Lucie prévoyait les ennuis qu’ils pourraient avoir si Jacinthe ne tenait pas sa langue. Elle décida tout bonnement qu’il valait mieux se taire et recommanda à ses cousins le silence le plus absolu, pour le moment, à l’égard de tous.
« Même avec ta mère ! » ajouta-t-elle en regardant Jacinthe droit dans les yeux.
« Nous ne dirons rien à personne », assurèrent le frère et la sœur. Mais la voix de Jacinthe, toute vibrante d’enthousiasme, laissait déjà présager que sa résolution serait bien fragile.
Devant la porte de la bergerie de Monsieur Marto, une fois encore, la petite s’exclama : « Oh ! quelle belle Dame ! »
Lucie, l’index sur les lèvres, essaya de la faire taire. « Chut !… Même avec ta mère !
– Bien sûr ! » assura Jacinthe.
Et le loquet de la porte de la bergerie se referma sur la dernière brebis.
MERCREDI 13 JUIN 1917 :
La révélation du Cœur Immaculé de Marie
Le 13 juin au matin, Lucie, François et Jacinthe, après la messe en l’église de Fatima, se rendirent jusqu’à la Cova da Iria. Vers 11 heures, lorsqu’ils arrivèrent sur le lieu des apparitions, il y avait déjà plusieurs dizaines de personnes, venues pour la plupart des hameaux voisins. De la paroisse, il n’y avait guère que Maria Carreira. Cette mère de famille, “ la fidèle de la première heure ”, n’avait rien d’une exaltée, perpétuellement en quête de merveilleux… C’en était tout le contraire. D’un courage héroïque, d’un grand bon sens, c’est sa foi profonde et son amour de la très Sainte Vierge qui, non sans une grâce spéciale de Dieu, lui firent pressentir presque tout de suite, puis constater de visu qu’il y avait là un authentique fait surnaturel. (…)
Dès qu’elle aperçut Lucie, Maria Carreira s’empressa de lui demander :
« Oh, petite ! quel est le chêne-vert où Notre-Dame est apparue ?
– Voyez ! c’est ici qu’elle se trouvait, répondit Lucie en mettant la main sur la cime de l’arbuste.
C’était un petit chêne-vert, d’un mètre environ de hauteur, dans la force de la croissance. Les branches étaient bien droites, vigoureuses et d’un bel aspect.
Et puis, sans excitation, sans inquiétude ni contention d’esprit, l’on attendit l’heure de l’apparition. « Pour moi, racontait Maria Carreira, comme j’étais malade, et me sentais très faible (il devait être près de midi au soleil), je demandai à Lucie :
– Notre-Dame va-t-elle tarder longtemps ?
– Non, Madame, me répondit-elle, elle ne tardera pas.
« La petite attendait les signes qui annonceraient l’apparition. Nous récitâmes le chapelet et, au moment où allait commencer les litanies, Lucie interrompit en disant qu’il n’y avait plus assez de temps pour les réciter. »
Il y avait maintenant autour des voyants une cinquantaine de personnes groupées près du chêne-vert, et tout le monde entendit Lucie s’écrier : « Voilà l’éclair !… Notre-Dame va arriver ! » Mais, seuls, les trois enfants l’avaient vu. Les autres ne virent ni l’éclair, ni Notre-Dame… Cependant, note un témoin, « les branches de l’arbuste ployèrent en rond de tous les côtés, comme si le poids de Notre-Dame avait réellement porté sur elles ». (…)
Écoutons maintenant Lucie relater l’Apparition dans son IVe Mémoire :
« 13 juin 1917. Après avoir récité le chapelet avec Jacinthe, François et d’autres personnes qui étaient présentes, nous vîmes de nouveau le reflet de la lumière qui s’approchait (ce que nous appelions l’éclair) et, ensuite, Notre-Dame, sur le chêne-vert, tout comme au mois de mai.
– Que veut de moi Votre Grâce ? demandai-je.
– Je veux que vous veniez ici le 13 du mois prochain, que vous disiez le chapelet tous les jours et que vous appreniez à lire. Ensuite, je vous dirai ce que je veux.
Je demandai la guérison d’un malade.
– S’il se convertit, il sera guéri durant l’année.
– Je voudrais vous demander de nous emmener au Ciel.
– Oui, Jacinthe et François, je les emmènerai bientôt mais toi, Lucie, tu resteras ici pendant un certain temps. Jésus veut se servir de toi afin de me faire connaître et aimer. Il veut établir dans le monde la dévotion à mon Cœur Immaculé. À qui embrassera cette dévotion, je promets le salut, ces âmes seront chéries de Dieu, comme des fleurs placées par Moi pour orner son trône.
– Je vais rester ici toute seule ? demandai-je avec peine.
– Non, ma fille. Tu souffres beaucoup ? Ne te décourage pas, je ne t’abandonnerai jamais ! Mon Cœur Immaculé sera ton refuge et le chemin qui te conduira jusqu’à Dieu.
« Ce fut au moment où Elle prononça ces dernières paroles qu’Elle ouvrit les mains et nous communiqua, pour la deuxième fois, le reflet de cette lumière immense. En Elle, nous nous vîmes comme submergés en Dieu. Jacinthe et François paraissaient être dans la partie de cette lumière qui s’élevait vers le Ciel, et moi dans celle qui se répandait sur la terre.
« Devant la paume de la main droite de Notre-Dame se trouvait un Cœur, entouré d’épines qui semblaient s’y enfoncer. Nous avons compris que c’était le Cœur Immaculé de Marie, outragé par les péchés de l’humanité, qui demandait réparation.
« Voilà, Excellence, ce à quoi nous faisions allusion lorsque nous disions que Notre-Dame nous avait révélé un secret en juin. Notre-Dame ne nous avait pas demandé encore cette fois-là de garder le secret, mais nous sentions que Dieu nous y poussait. »
« Quand Notre-Dame s’éloigna de l’arbuste, rapporte Maria Carreira, il y eut comme le souffle d’une fusée d’artifice lorsqu’on l’entend monter au loin. Lucie se leva très vite et, en tendant le bras, elle disait :
– Voyez, Elle s’en va, Elle s’en va !
« Quant à nous, nous ne vîmes rien, seulement un petit nuage, distant du feuillage de l’arbuste d’une main ouverte, qui s’élevait doucement vers l’orient, jusqu’au moment où il se dissipa complètement. Certaines gens disaient : “ Je le vois encore, il est là ! ”… jusqu’à ce que, pour finir, personne ne prétendit plus le voir. Les petits restaient silencieux, les yeux fixés sur le même point du ciel, jusqu’à ce que Lucie, au bout d’un moment, déclarât : “ C’est fini ! Maintenant on ne la voit plus ; elle est rentrée au Ciel ; les portes se sont refermées. ” En nous tournant alors vers le chêne-vert miraculeux, quelle ne fut pas notre surprise de voir que les petites branches du sommet, qui étaient auparavant toutes droites, étaient maintenant un peu inclinées vers l’est, comme si elles avaient été réellement foulées par quelqu’un. »
« Je remarquai un fait étonnant, rapporte un autre témoin. À la fin de l’apparition, lorsque Lucie annonça que Notre-Dame partait dans la direction de l’est, tous les rameaux de l’arbre se ramassèrent et s’infléchirent de ce côté, comme si Notre-Dame, en partant, avait laissé traîner sa robe sur la ramure. »
Les cinquante premiers pèlerins du 13 juin, rentrés chez eux pleins de joie et de ferveur, publièrent partout la bonne nouvelle : Oui, c’était vrai, Notre-Dame était apparue une deuxième fois à la Cova da Iria ! et ce n’était pas fini, elle reviendrait tous les treize du mois, jusqu’en octobre ! Ils surent si bien communiquer leur confiance enthousiaste que, le 13 juillet, en pleine période de moisson, ils seront des milliers à vouloir assister au céleste rendez-vous… (…)
Le fruit de la vision fut pour nos pastoureaux une connaissance intime et un ardent amour du Cœur Immaculé de Marie. « Il me semble que ce jour-là, écrit Lucie, ce reflet avait pour but principal de mettre en nous une connaissance et un amour spécial envers le Cœur Immaculé de Marie ; de même que les deux autres fois, il avait eu ce même but, mais par rapport à Dieu et au mystère de la très Sainte Trinité. Depuis ce jour, nous sentîmes au cœur un amour plus ardent envers le Cœur Immaculé de Marie. » Jacinthe, plus particulièrement, était débordante de ferveur : « Elle me disait de temps en temps : “ Notre-Dame a dit que son Cœur Immaculé serait ton refuge, et le chemin qui te conduirait à Dieu. N’aimes-tu pas cela beaucoup ? Moi, j’aime tant son Cœur, Il est si bon ! ” »
Dans la lumière même de Dieu, les enfants purent voir l’expression symbolique de la diversité de leurs vocations. Après la vision, François s’étonnait : « Tu te trouvais avec Notre-Dame, disait-il à Lucie, dans la lumière qui descendait vers la terre, et Jacinthe avec moi dans celle qui montait vers le Ciel. » Lucie le lui expliqua. La prophétie qu’elle formula sur son propre compte est à signaler, elle s’est réalisée à la lettre :
« C’est que, répondis-je, toi et Jacinthe, vous irez bientôt au Ciel, et moi je resterai avec le Cœur Immaculé quelque temps encore sur la terre.
– Combien d’années resteras-tu ici ? demanda-t-il.
– Je ne sais pas, beaucoup d’années.
– C’est Notre-Dame qui te l’a dit ?
– Oui, c’est Elle, et je l’ai vu dans cette lumière qu’elle nous mettait dans la poitrine.
« Jacinthe confirma ce que je disais, en déclarant : “ Oui, c’est bien ainsi ! Moi aussi, je l’ai vu ainsi ! ” »
VENDREDI 13 JUILLET 1917 :
La révélation du grand Secret
LE 13 juillet, alors que notre Lucie demeurait plongée dans l’angoisse, François et Jacinthe s’inquiétaient, ne sachant comment ils agiraient sans leur cousine. (…)
Mais quand approcha l’heure à laquelle elle devait partir pour la Cova da Iria, Lucie se sentit soudain poussée à s’y rendre par une force étrange à laquelle il lui était très difficile de résister. Elle se mit donc en chemin et passa par la maison de ses oncles, pour voir si Jacinthe y était encore. Elle la trouva dans sa chambre, avec son frère François, à genoux au pied du lit et pleurant.
« Vous n’y allez pas ? leur demanda-t-elle.
– Sans toi, nous n’osons pas y aller. Allons, viens !
– Eh bien, j’y vais », leur répondit-elle.
Alors, le visage rayonnant de joie, ils partirent aussitôt avec leur cousine. (…)
Écoutons Monsieur Marto raconter, dans son langage simple et pittoresque, l’enchaînement rapide des événements :
« Je quittai la maison résolu, cette fois, à voir ce qui se passait. À combien de reprises n’avais-je pas dit à ma commère Maria Rosa : “ Si les gens prétendent que ces choses sont des inventions des parents et des prêtres, personne ne sait mieux que vous et moi qu’il n’en est pas ainsi. Nous ne poussons pas les enfants à aller là-bas. Et Monsieur le Curé quant à lui… Il va jusqu’à dire que ce peuvent être des choses du démon !… ” En réfléchissant ainsi, j’atteignis la route. Que de monde déjà !… » (…)
Impossible d’approcher !… À un certain moment, deux hommes, l’un de Ramila, l’autre de notre village, firent un cercle autour des enfants pour leur dégager une place et, me voyant, ils me tirèrent par le bras, en déclarant :
– C’est le père des enfants ! Qu’il vienne au milieu !
« Je me trouvai donc tout près de ma Jacinthe.
« Lucie, agenouillée un peu plus en avant, récitait le chapelet, et tous répondaient à haute voix. Le chapelet terminé, elle se leva si rapidement qu’elle ne sembla pas agir d’elle-même. Elle regarda vers le levant et s’écria :
– Fermez les parapluies ! Fermez les parapluies ! (ils servaient d’ombrelles, car il était midi et la chaleur était accablante)… Notre-Dame arrive !
« Pour moi, j’avais beau regarder, je ne voyais rien. Cependant, en faisant plus attention, je vis comme un léger nuage cendré, qui planait sur le chêne-vert. Le soleil s’obscurcit, et l’on sentit un souffle frais, agréable. Il ne semblait plus que nous étions au plus fort de l’été. La foule était tellement silencieuse qu’on en était impressionné.
« Alors, je commençai à entendre un son, un bourdonnement, quelque chose comme le bruit que ferait une grosse mouche dans une cruche vide. Mais je n’entendais aucune parole. Rien !… Je pense que c’est un peu ce qui arrive quand on est à téléphoner, ce qui ne m’est jamais arrivé ! Mais qu’est-ce que c’est ? me demandais-je à moi-même. Est-ce que cela vient de loin, ou de tout près d’ici ?… Tout cela, pour moi, fut une grande confirmation du miracle. »
En vérité, la Très Sainte Vierge descendait du Ciel, une troisième fois, pour s’adresser à ses confidents.
En présence de la céleste vision, une allégresse incroyable, une paix immense, envahirent le cœur des enfants, spécialement de Lucie, qui restait muette d’étonnement. Avec une tendresse infinie, comme une mère penchée sur son petit enfant malade, la Vierge Marie posa un regard un peu triste sur Lucie, comme pour lui dire : « C’est moi… Je viens du Ciel… En enfer, il n’existe pas de blancheur, pas de lumière ; il ne s’y trouve aucune bonté, aucune douceur… »
Lucie demeurait absorbée dans sa contemplation, comme en extase. Alors, Jacinthe intervint :
« Allons, Lucie, parle ! Ne vois-tu pas qu’Elle est déjà là et qu’Elle veut te parler ? »
Humblement, comme pour implorer son pardon après avoir douté d’Elle, Lucie demanda une fois de plus :
« Que veut de moi Votre Grâce ?
–Je veux que vous veniez ici le 13 du mois qui vient, que vous continuiez à réciter le chapelet tous les jours en l’honneur de Notre-Dame du Rosaire, pour obtenir la paix du monde et la fin de la guerre, parce qu’Elle seule pourra vous secourir. »
Lucie, pensant à sa mère qui ne voulait pas croire, aux gens qui se moquaient d’elle, à Monsieur le Curé qui prétendait que ce pourrait être une chose mauvaise, ajouta :
« Je voudrais vous demander de nous dire qui vous êtes, et de faire un miracle afin que tous croient que Votre Grâce nous apparaît.
–Continuez à venir ici tous les mois. En octobre, Je dirai qui Je suis, ce que Je veux, et Je ferai un miracle que tous verront pour croire. »
Tout heureuse et sans perdre de temps, Lucie se mit à présenter à la Vierge Marie les requêtes qu’on lui avait confiées. Notre-Dame répondit qu’elle guérirait les uns, les autres non. Quant au fils estropié de Maria Carreira, elle ne le guérirait pas et il resterait pauvre. Mais il devrait réciter tous les jours le chapelet avec sa famille, et il pourrait gagner sa vie. Un de ceux qui avaient eu recours à Notre-Dame, un malade de Atouguia, avait supplié d’aller bientôt au Ciel.
« Qu’il ne soit pas trop pressé, répondit Notre-Dame. Je sais bien quand je dois venir le chercher. »
Il s’agissait de Manuel da Silva Reis, que Notre-Dame ne vint en effet chercher que sept ans plus tard, le 18 février 1924.
On demandait aussi des conversions : une femme de Fatima et ses enfants ; une autre de Pedrogao, des buveurs à corriger de leur vice, d’autres guérisons… Tous devaient réciter le chapelet, telle était la condition générale pour obtenir dans l’année les grâces demandées.
Afin de ranimer la ferveur refroidie de Lucie, la Vierge Marie lui recommanda de nouveau la nécessité du sacrifice, et confia aux enfants des paroles dont il leur faudrait conserver le secret :
« Sacrifiez-vous pour les pécheurs, et dites souvent à Jésus, spécialement lorsque vous ferez un sacrifice :
« Ô Jésus, c’est par amour pour vous, pour la conversion des pécheurs, et en réparation des péchés commis contre le Cœur Immaculé de Marie. »
Lucie poursuit avec précision :
« En disant ces dernières paroles, Elle ouvrit de nouveau les mains, comme les deux derniers mois. Le reflet (de la lumière) parut pénétrer la terre et nous vîmes comme un océan de feu. Plongés dans ce feu nous voyions les démons et les âmes (des damnés). Celles-ci étaient comme des braises transparentes, noires ou bronzées, ayant formes humaines. Elles flottaient dans cet incendie, soulevées par les flammes qui sortaient d’elles-mêmes, avec des nuages de fumée. Elles retombaient de tous côtés, comme les étincelles dans les grands incendies, sans poids ni équilibre, au milieu des cris et des gémissements de douleur et de désespoir qui horrifiaient et faisaient trembler de frayeur. (C’est à la vue de ce spectacle que j’ai dû pousser ce cri : “ Aïe ! ” que l’on dit avoir entendu de moi.) Les démons se distinguaient (des âmes des damnés) par des formes horribles et répugnantes d’animaux effrayants et inconnus, mais transparents comme de noirs charbons embrasés.
« Cette vision ne dura qu’un moment, grâce à notre bonne Mère du Ciel qui, à la première apparition, nous avait promis de nous emmener au Ciel. Sans quoi, je crois que nous serions morts d’épouvante et de peur.
« Effrayés, et comme pour demander secours, nous levâmes les yeux vers Notre-Dame qui nous dit avec bonté et tristesse :
–Vous avez vu l’enfer où vont les âmes des pauvres pécheurs. Pour les sauver, Dieu veut établir dans le monde la dévotion à mon Cœur Immaculé. Si l’on fait ce que je vais vous dire, beaucoup d’âmes se sauveront et l’on aura la paix. La guerre va finir. Mais si l’on ne cesse d’offenser Dieu, sous le règne de Pie XI, en commencera une autre pire. Quand vous verrez une nuit illuminée par une lumière inconnue, sachez que c’est le grand signe que Dieu vous donne qu’il va punir le monde de ses crimes, par le moyen de la guerre, de la famine et des persécutions contre l’Église et le Saint-Père.
Pour empêcher cela, je viendrai demander la consécration de la Russie à mon Cœur Immaculé et la Communion réparatrice des premiers samedis du mois. Si l’on écoute mes demandes, la Russie se convertira et l’on aura la paix. Sinon elle répandra ses erreurs à travers le monde, provoquant des guerres et des persécutions contre l’Église. Les bons seront martyrisés, le Saint-Père aura beaucoup à souffrir, plusieurs nations seront anéanties. «
C’est alors que les trois voyants virent une autre vision qui devait, d’ordre de la Sainte Vierge, être révélée par le pape au plus tard en 1960, mais qui le fut seulement quarante ans après, le 26 juin 2000. C’est une révélation symbolique conditionnée par la réponse ou la non-réponse aux demandes que la Sainte Vierge venait d’exprimer au nom de Dieu, qui veut sauver les âmes de l’enfer par le moyen de la dévotion au Cœur Immaculé de Marie.
« (…) Nous vîmes à gauche de Notre-Dame, un peu plus haut, un Ange avec une épée de feu à la main gauche ; elle scintillait, émettait des flammes qui paraissaient devoir incendier le monde ; mais elles s’éteignaient au contact de l’éclat que, de sa main droite, Notre-Dame faisait jaillir vers lui : l’Ange, désignant la terre de sa main droite, dit d’une voix forte : “ Pénitence, Pénitence, Pénitence ! ”
« Et nous vîmes dans une lumière immense qui est Dieu : “ quelque chose de semblable à l’image que renvoie un miroir quand une personne passe devant ” : un Évêque vêtu de Blanc.
“ Nous eûmes le pressentiment que c’était le Saint-Père. ”
« Plusieurs autres Évêques, Prêtres, religieux et religieuses gravissaient une montagne escarpée, au sommet de laquelle était une grande Croix de troncs bruts comme si elle était en chêne-liège avec l’écorce ; le Saint-Père, avant d’y arriver, traversa une grande ville à moitié en ruine et, à moitié tremblant, d’un pas vacillant, affligé de douleur et de peine, il priait pour les âmes des cadavres qu’il trouvait sur son chemin ; parvenu au sommet de la montagne, prosterné à genoux au pied de la grande Croix, il fut tué par un groupe de soldats qui lui tirèrent plusieurs coups et des flèches, et de la même manière moururent les uns après les autres les Évêques, Prêtres, religieux et religieuses, et divers laïcs, des messieurs et des dames de rangs et de conditions différentes.
« Sous les deux bras de la Croix, il y avait deux Anges, chacun avec un vase de cristal à la main, dans lequel ils recueillaient le sang des Martyrs, et avec lequel ils arrosaient les âmes qui s’approchaient de Dieu.
« Tuy 3-1-1944. »
Cette vision constitue la troisième partie du Secret de Fatima. La première est la vision de l’enfer, et la deuxième se rapporte à la nécessité vitale de la dévotion au Cœur Immaculé de Marie. Bien qu’il soit ainsi divisé en trois éléments, il s’agit d’un unique Secret, tout entier révélé par Notre-Dame aux trois pastoureaux, lors de l’apparition du 13 juillet 1917. Reprenons le récit de cette apparition :
« À la fin mon Cœur Immaculé triomphera. Le Saint-Père me consacrera la Russie qui se convertira et il sera donné au monde un certain temps de paix.
« Au Portugal se conservera toujours le dogme de la foi, etc.
« Cela ne le dites à personne. À François, oui, vous pouvez le dire.
« Quand vous récitez le chapelet, dites après chaque mystère :
« Ô mon Jésus, pardonnez-nous nos péchés, sauvez-nous du feu de l’enfer, attirez au Ciel toutes les âmes, surtout celles qui en ont le plus besoin. »
En face des réalités terribles qu’ils venaient de voir et d’entendre, les enfants restèrent sans parole, comme privés de leurs sens.
Après quelques instants de silence, Lucie cependant posa une dernière question :
« Votre Grâce ne me demande-t-elle rien de plus ?
–Non, aujourd’hui je ne te demande rien de plus. »
« On entendit à ce moment-là, se souvient Monsieur Marto, quelque chose comme un grand coup de tonnerre, et l’arceau, qu’on avait planté là pour y accrocher deux petites lanternes, trembla tout entier, comme s’il y avait eu un tremblement de terre. Lucie, qui était encore à genoux, se leva, et se tourna si vite que sa jupe se souleva comme un ballon. Elle s’écria, en montrant le ciel :
– Elle s’en va ! Elle s’en va !
« Et après quelques instants :
– On ne la voit déjà plus.
« Je tirai de cela aussi une grande preuve. »
L’entretien était terminé, et la Vierge, comme le 13 mai et le 13 juin, s’était élevée vers le même point du ciel d’où Elle était venue, jusqu’à disparaître dans l’immensité bleue.
Lorsque se fut dissipé le nuage cendré qui planait sur le chêne-vert, et que tout le monde se fut remis de ses émotions, les enfants se virent plus que jamais entourés et harcelés de questions.
« Oh, Lucie ! Qu’est-ce que Notre-Dame t’a dit pour que tu sois devenue si triste ? lui demanda quelqu’un.
– C’est un secret, répondit-elle.
– Mais c’est une chose bonne ?
– Pour les uns, elle est bonne, pour les autres, mauvaise.
– Tu ne peux pas le dire ? insistait-on.
– Non, je ne peux pas le dire ! »
C’est que l’ordre de Notre-Dame retentissait encore à ses oreilles : « Cela, ne le dites à personne ! »
La foule serrait les enfants, au point de les étouffer. Tout rouge, en sueur, et d’un geste rapide, Monsieur Marto s’ouvrit un passage en jouant violemment des coudes puis, enlevant Jacinthe dans ses bras, il la porta jusqu’à la route, en la protégeant du soleil brûlant avec son chapeau. (…)
Un jeune ingénieur des environs, nommé Mario Godinho, offrit aux petits voyants de les reconduire chez eux en automobile. (…)
Les trois enfants, le 13 juillet, peu après la vision de l’enfer.
Toutefois, avant de rentrer à Aljustrel, l’on s’arrêta devant l’église de Fatima. Là, leur conducteur voulut les photographier. Premier et saisissant cliché que nous ayons des trois voyants, réalisé si peu d’instants après la vision de l’enfer.
Le doute, qui avait tourmenté Lucie du 13 juin au 13 juillet, disparut lors de cette troisième apparition de Notre-Dame à la Cova da Iria. Grâce à Dieu, la vision céleste dissipa les nuages de son âme et elle retrouva la paix.
Nos petits amis venaient de voir l’enfer, d’entendre les hurlements des damnés, là, tout près d’eux. Lucie, pour sa part, apprendrait bientôt que sa mission de messagère du Ciel serait de rappeler à notre siècle impie et apostat que l’enfer existe, que des multitudes d’âmes y tombent pour leur tourment éternel, et que la Vierge Marie a voulu montrer cette réalité à trois enfants, en prévision de l’incrédulité qui irait croissant à notre époque… jusqu’à déclarer que l’enfer n’existe pas ou qu’il n’y a personne dedans. Prétendre cela après la vision de l’enfer en 1917 ? Impossible !
La voyante est fidèle aux paroles de la Sainte Vierge qui se fait notre catéchiste, nous pouvons donc la croire ! Lucie témoignera sa vie durant, avec toute son énergie, de ce qu’elle a vu en ce 13 juillet 1917. Elle déclarera à maintes reprises, à des journalistes ou dans sa correspondance : « La terre s’ouvrit et nous nous trouvions, pour ainsi dire, au-dessus de l’enfer comme quelqu’un qui, sur une falaise, se trouverait au-dessus de la mer (…). J’entendais les cris. Il m’a semblé que l’enfer était tout près. »
« Nombreux sont ceux qui se damnent… Beaucoup se perdront… Ne soyez pas surpris si je vous parle tant de l’enfer. C’est une vérité qu’il est nécessaire de rappeler beaucoup dans les temps présents, parce qu’on l’oublie : c’est en tourbillon que les âmes tombent en enfer. Eh quoi ? Vous ne trouvez pas bien employés tous les sacrifices qu’il faut faire pour ne pas y aller et empêcher que beaucoup d’autres y tombent ? »
DIMANCHE 19 AOÛT 1917 :
« Beaucoup d’âmes vont en enfer parce qu’elles
n’ont personne qui se sacrifie et prie pour elles ».
Jacinthe, Lucie et François, photographiés entre le 13 juillet et le 13 août 1917.
Quatre jours s’étaient écoulés depuis le retour des enfants de la prison dans laquelle ils avaient été enfermés par l’Administrateur. Ils calculaient tristement qu’il leur faudrait attendre encore presque un mois avant de revoir Notre-Dame. En ce dimanche 19 août, après la Messe paroissiale, ils partirent pour la Cova da Iria, accompagnés de quelques personnes, pour y réciter le chapelet. L’après-midi, les pèlerins rentrèrent chez eux, tandis que Lucie, François ainsi que son frère Jean âgé de onze ans, prirent le chemin des Valinhos, pour mener paître leurs troupeaux. C’était le lieu le plus proche et le plus herbu, à mi-hauteur entre Aljustrel et le sommet du Cabeço.
Jacinthe, pour sa part, avait été retenue par sa mère qui voulait lui laver les cheveux.
Il était environ 4 heures de l’après-midi, quand Lucie commença à remarquer dans l’atmosphère les changements qui précédaient les apparitions de Notre-Dame à la Cova da Iria : un rafraîchissement subit de la température, une atténuation de l’éclat du soleil, enfin l’éclair caractéristique.
« Notre-Dame va venir, se dit Lucie… et Jacinthe qui n’est pas là ! »
Jean Marto, le frère aîné de Jacinthe et de François, photographié en 1990, à l’âge de 84 ans. Il a assisté à l’apparition du 19 août.
Elle fit appel à Jean : « Oh, Jean ! Va vite chercher Jacinthe ! Notre-Dame va venir ! »
Mais le garçon n’était guère disposé à y aller. C’est que, lui aussi, voulait voir la Sainte Vierge ! « Va ! Va vite ! insista Lucie. Je te donne deux “ vinténs ” (40 centimes) si tu me ramènes Jacinthe !… En voici déjà un, et je te donnerai l’autre quand tu reviendras. »
Jean, mettant la pièce dans sa poche, partit à toute vitesse pendant que François lui criait : « Dis-lui qu’elle vienne en courant ! »
Puis, se tournant vers sa cousine, François lui dit :
« Si Jacinthe n’arrive pas à temps, elle sera très triste. »
En cinq minutes, Jean était à la porte de la maison de ses parents. « Maman, lança-t-il, tout essoufflé, Lucie m’envoie dire qu’elle voudrait voir Jacinthe !
– Quoi ? Il n’y en a pas assez de trois pour s’amuser ? répliqua Olimpia, mécontente. Le Curé ne peut se passer de sacristain ? »
Mais le garçon insistait : « Laissez-la venir, Maman ! Il faut qu’elle vienne !
– Et pourquoi ? Me le diras-tu ?
– Voyez ! Lucie m’a même donné un “ vintém ” pour que je l’amène. »
Olimpia était de plus en plus intriguée : « Un “ vintém ” ? Eh bien, maintenant je veux savoir pourquoi Lucie tient tant à ce que Jacinthe vienne ! »
Jean, trépignant d’impatience, avoua :
« C’est que Lucie a vu dans les astres les signes que Notre-Dame va apparaître, et elle voudrait que Jacinthe soit là, le plus vite possible !
– Eh bien, à la grâce de Dieu ! Jacinthe est chez sa marraine. »
C’était tout ce que le garçonnet voulait savoir, et il partit comme un trait. À la maison de la marraine, il se précipita vers Jacinthe. Deux mots susurrés à son oreille la rendirent plus impatiente que lui-même de voler aux Valinhos. En se donnant la main, ils y coururent.
Olimpia, curieuse de savoir ce qui se passait et désireuse de profiter de cette occasion, peut-être unique, se mit en route elle aussi. Mais elle n’arriva pas à temps, car elle s’attarda quelques minutes à la maison de la marraine qui lui dit que les enfants étaient partis, en toute hâte, en direction des Valinhos.
Jean non plus, ne gagna rien à avoir tant couru,… si ce n’est les deux “ vinténs » de Lucie qu’il faisait tinter dans sa poche, en guise de consolation.
Comme à la Cova da lria, seuls les trois enfants privilégiés virent la Céleste Dame. Eux seuls, dans les desseins de la Providence, devaient être les dépositaires du message venu du Ciel.
Au premier éclair avait succédé un second, et ce fut à ce moment même que Jacinthe arriva avec son frère Jean, soulevant derrière eux un nuage de poussière. Peu après, la lumineuse Apparition se montrait au-dessus d’un chêne-vert, un peu plus élevé que celui de la Cova da Iria. Quelle joie ineffable de La revoir, après avoir tant craint qu’Elle ne revienne plus ! Quelle bonté maternelle de revenir exprès, pour remplacer le rendez-vous manqué six jours auparavant !
Avec une confiance toute filiale, Lucie demanda :
« Que veut de moi Votre Grâce ?
– Je veux que vous continuiez d’aller à la Cova da Iria le 13, que vous continuiez à réciter le chapelet tous les jours. Le dernier mois, Je ferai le miracle afin que tous croient. Si l’on ne vous avait pas emmenés à la Ville, le miracle aurait été plus connu. Saint Joseph viendra avec l’Enfant-Jésus, pour donner la paix au monde. Notre-Seigneur viendra bénir le peuple. Viendra aussi Notre-Dame du Rosaire et Notre-Dame des Douleurs. »
Lucie se souvint alors de la question dont l’avait chargée Maria Carreira :
« Que voulez-vous que l’on fasse de l’argent que les gens laissent à la Cova da Iria ?
– Que l’on fasse deux brancards de procession. Tu porteras l’un avec Jacinthe et deux autres petites filles habillées de blanc ; l’autre, que François le porte avec trois garçons, comme lui vêtus d’une aube blanche. Ce sera pour la fête de Notre-Dame du Rosaire. Ce qui restera sera pour aider à la construction d’une chapelle que l’on fera faire.
– Je voudrais vous demander la guérison de quelques malades.
– Oui, j’en guérirai certains dans l’année. »
Et, prenant un air plus triste :
« Priez, priez beaucoup et faites des sacrifices pour les pécheurs, car beaucoup d’âmes vont en enfer parce qu’elles n’ont personne qui se sacrifie et prie pour elles. »
« Et comme d’habitude, Elle commença à s’élever en direction du levant. »
Aux Valinhos, le monument commémoratif de l’apparition du 19 août 1917. Au premier plan, à gauche, le chemin où les enfants s’agenouillèrent quand Notre-Dame leur apparut.
Les enfants, cette fois, voulurent cueillir eux-mêmes un rameau du chêne-vert sur lequel s’étaient posés les pieds de la Vierge Marie. Jacinthe désirait passer le reste de l’après-midi aux Valinhos, mais François la reprit gentiment :
« Non, tu dois t’en aller, parce que notre mère ne t’a pas laissée venir aujourd’hui avec les brebis. »
Et, afin de l’encourager, il l’accompagna jusqu’à la maison, laissant à Lucie et à Jean le soin du troupeau.
Le frère et la sœur tenaient à la main le précieux rameau de l’arbuste, souvenir de l’Apparition. En entrant dans Aljustrel, ils trouvèrent, à la porte de la maison de Lucie, Maria Rosa, ainsi que Maria dos Anjos, sa fille aînée, et d’autres personnes.
Jacinthe, tout émue, dit aussitôt à la mère de Lucie :
« Oh, ma tante ! Nous avons vu encore une fois Notre-Dame : aux Valinhos !
– Ah, Jacinthe ! Vous serez donc toujours des menteurs ? Est-ce que Notre-Dame va maintenant apparaître partout où vous allez ?
– Mais nous l’avons vue ! » insistait la petite. Et, montrant à sa tante le rameau de chêne-vert qu’elle tenait à la main, elle continua : « Voyez, ma tante ! Notre-Dame avait un pied sur cette petite branche, et un autre sur celle-ci.
– Donne !… Montre-le-moi ! »
Jacinthe lui remit le rameau, et Maria Rosa le porta à son nez. « Mais quelle est cette odeur ? » Sa curiosité était piquée au vif. Elle continuait à le sentir et s’étonnait : « Ce n’est pas du parfum… ni de l’encens… ni de la savonnette… Cela sent la rose. Non, ce n’est pas encore cela, ni rien de ce que je connais !… Quelle bonne odeur ! »
Tous voulurent sentir aussi le rameau et tous trouvèrent l’odeur très agréable. Enfin, Maria Rosa le posa sur la table : « Je le laisse là. Je trouverai bien quelqu’un qui saura identifier cette odeur. »
Depuis ce moment, la mère de Lucie commença à être ébranlée dans son opposition aux Apparitions. Elle retrouva un peu de paix. Elle avait souvent dit : « S’il y avait au moins une autre personne qui ait vu quelque chose, je croirais peut-être ! Mais parmi tant de monde, eux seuls voient ! » Or, durant ce dernier mois, certains rapportaient avoir vu divers phénomènes. Maria Rosa d’observer alors : « Pour moi, il me semblait, auparavant, que s’il y avait eu quelqu’un d’autre à voir quoi que ce soit, j’aurais cru. Mais, à présent, tant de gens disent avoir vu quelques signes et je ne parviens pas à croire. »
Le père de Lucie, quant à lui, commença à prendre sa défense. Quand ses sœurs se moquaient d’elle, leur père les priait de la laisser en paix, car ses dires pouvaient être vrais.
Ce même 19 août, dès que Maria Rosa eut repris ses occupations domestiques, Jacinthe rentra furtivement dans la maison et s’empara du rameau pour le montrer à ses parents.
Monsieur Marto, en effet, n’apprit que le soir la nouvelle apparition de la Vierge Marie à ses enfants. Écoutons-le :
« J’étais allé ce jour-là faire un tour dans mes champs. Après le coucher du soleil, je revins à la maison. J’étais sur le point d’y entrer, lorsque je rencontrai un ami qui me dit :
– Oh ! Ti Marto, le miracle est plus certain désormais.
– Moi, je ne sais rien, répondis-je.
– Quoi ? Vous ne savez pas ?
– Non ! Que pourrais-je savoir de plus ?
– Eh bien, sachez que Notre-Dame est apparue, il y a un instant aux Valinhos, à vos enfants et à Lucie. C’est sûr ! Ti Manuel, et, croyez-moi ! votre Jacinthe a une “ vertu ” particulière. Elle n’était pas avec les autres… Quelqu’un est venu l’appeler, et Notre-Dame n’est apparue qu’au moment où elle est arrivée.
« Je haussai les épaules, sans trouver à articuler une parole, mais j’entrai dans la cour en réfléchissant à la chose. Ma femme était absente. J’allai à la cuisine et je m’assis.
« Sur les entrefaites, Jacinthe arriva, toute joyeuse, avec un rameau à la main et me dit :
– Oh, Papa ! Notre-Dame nous est apparue de nouveau : aux Valinhos !
« Au moment où elle entra, je sentis un parfum extraordinaire, que je ne pouvais m’expliquer. Je tendis la main vers le rameau, et je demandai à la petite :
– Qu’est-ce que tu apportes là ?
– C’est le rameau sur lequel Notre-Dame a posé les pieds.
« Je le sentis, mais le parfum avait disparu. »
Quant à Jean, qui avait assisté à l’Apparition, il alla trouver sa mère, le soir tombé, très déçu de n’avoir pu contempler la vision lui aussi :
« J’ai vu Lucie, François et Jacinthe s’agenouiller près de l’arbre. Puis j’ai écouté ce que disait Lucie. Quand elle a dit : “ Voilà qu’Elle part ! Regarde Jacinthe ! ” j’ai entendu un coup de tonnerre semblable à l’éclatement d’une fusée. Mais je n’ai rien vu. Pourtant les yeux me font encore mal d’avoir tant regardé en l’air. »
JEUDI 13 SEPTEMBRE 1917 :
« En octobre, je ferai le miracle
pour que tous croient. »
Lucie, Jacinthe et François avaient hâte qu’arrive enfin le jour de l’Apparition de Notre-Dame. Elle leur serait d’autant plus précieuse que des souffrances et des luttes pénibles mettaient constamment à l’épreuve leur patience, déjà héroïque.
Les visites impromptues et les interrogatoires minutieux, indélicats, exaspérants, loin de diminuer, ne faisaient que se multiplier.
François en souffrait beaucoup et se plaignait en disant à sa sœur :
« Quel dommage ! Si tu t’étais tue, personne ne saurait rien ! Si ce n’était pas un mensonge, nous dirions à tous ces gens que nous n’avons rien vu et tout serait terminé. Mais ce n’est pas possible ! »
On se moquait de plus belle des “ visionnaires ”, de cette Dame qui se promenait le treize de chaque mois au-dessus des arbres. On les menaçait, comme s’ils avaient été des criminels.
Le mépris qu’ils rencontraient de la part des gens du hameau, dont certains, rappelons-le, ne se gênaient pas pour battre Lucie, les humiliait profondément. L’attitude du Curé de la paroisse, d’une froideur qui confinait à l’hostilité, ainsi que celle des autres prêtres des environs, torturait leurs âmes sensibles.
Le nombre des gens qui croyaient aux Apparitions augmentait néanmoins d’une manière extraordinaire. Car après les prodiges constatés le 13 août à la Cova da Iria par une foule venue de partout, après le courage surhumain montré par les enfants face au redoutable Administrateur, les personnes sans parti pris pouvaient difficilement douter de la sincérité des voyants et, par conséquent, de la réalité des Apparitions.
Le 13 septembre, il y eut donc un grand afflux de pèlerins. La Cova da Iria était, pour les âmes simples et dévotes, un centre d’attraction irrésistible. Beaucoup se mirent en route dès la veille, mus, non tant par la curiosité que par le désir de fortifier leur foi, et surtout d’aller prier en ce lieu où notre Mère du Ciel daignait descendre pour s’entretenir avec trois petits campagnards.
Dès l’aube du jeudi 13 septembre, toutes les routes menant à Fatima étaient noires de monde. On dénombra ce jour-là entre vingt-cinq mille et trente mille personnes. La plupart des pèlerins récitaient pieusement leur chapelet.
Un témoin oculaire a écrit : « C’était un pèlerinage vraiment digne de ce nom, dont la seule vue faisait pleurer d’émotion. Jamais il ne m’avait été donné de voir, durant toute ma vie, une telle manifestation de foi… Sur le lieu des Apparitions, les hommes se découvraient. Presque tout le monde s’agenouillait et priait avec ferveur. »
Parmi cette multitude de pèlerins, il y avait cette fois, fait notable, quelques prêtres ainsi qu’un certain nombre de séminaristes.
Pour sa part, Lucie donna, avec sa modestie ordinaire, ce récit émouvant qui nous dépeint un véritable tableau d’Évangile :
« Quand le moment fut venu, je m’en allai là-bas avec Jacinthe et François, au milieu des nombreuses personnes qui nous laissaient à peine avancer et qui, toutes, voulaient nous voir et nous parler. Il n’y avait aucun respect humain. Beaucoup de gens du peuple, et même des dames et des messieurs, fendant la foule qui se pressait autour de nous, venaient s’agenouiller devant nous, en nous priant de présenter à Notre-Dame leurs intentions. D’autres, qui ne parvenaient pas à s’approcher de nous, criaient de loin :
– Pour l’amour de Dieu, demandez à Notre-Dame qu’Elle me guérisse mon fils, qui est estropié !
– Qu’Elle guérisse le mien, qui est aveugle !
– Le mien, qui est sourd !
– Qu’Elle me ramène mon mari qui est à la guerre !
– Qu’Elle convertisse un pécheur ! Qu’Elle me rende la santé, à moi qui suis tuberculeux !…
« On voyait là toutes les misères de la pauvre humanité. Certains criaient même du haut des arbres ou des murs sur lesquels ils étaient montés pour nous voir passer.
« En répondant oui aux uns, en aidant les autres à se relever, nous avancions, grâce à quelques messieurs qui nous frayaient un passage à travers la foule.
Les pastoureaux, à la Cova sa Iria, en septembre 1917. Sur la droite, le petit chêne-vert des apparitions, dont le tronc est protégé par quelques branchages.
« Quand je lis maintenant dans le Nouveau Testament les scènes touchantes du passage de Notre-Seigneur sur les routes de Palestine, je me rappelle ce que Notre-Seigneur m’a fait voir, quand j’étais encore une enfant, sur les pauvres chemins et sur les routes d’Aljustrel à Fatima, et à la Cova da Iria, et je rends grâces à Dieu, en lui offrant la foi de notre bon peuple portugais. Je me dis que si tous ces gens se prosternaient ainsi devant trois pauvres enfants, uniquement parce que ceux-ci avaient reçu, de la Miséricorde divine, la faveur de parler avec la Mère de Dieu, que n’auraient-ils pas fait, s’ils avaient eu devant eux Jésus-Christ lui-même ? »
Les trois petits arrivèrent enfin près du chêne-vert, et Lucie, comme de coutume, demanda que l’on récite le chapelet avec elle. Tous se mirent donc à genoux, riches et pauvres, et répondirent à haute voix aux Ave Maria.
« À midi, raconte M. l’abbé Quaresma témoin de la scène, le silence se fit dans cette multitude. On n’entendait plus que le murmure des prières.
« Subitement, des cris de joie retentissent, des bras s’élèvent, et montrent quelque chose dans le ciel :
– Regardez !… Ne voyez-vous pas ?
– Si, je vois !…
« La satisfaction brillait dans les yeux de ceux qui voyaient. Le ciel était bleu, sans aucun nuage. Je levai aussi les yeux, et je me mis à scruter l’immensité du firmament, pour voir ce que d’autres yeux, plus heureux que les miens, avaient déjà contemplé. À mon grand étonnement, je vis alors, clairement et distinctement, un globe lumineux, se déplaçant du levant vers le couchant, et glissant majestueusement dans l’espace… Soudain, le globe, avec sa lumière extraordinaire, disparut à nos yeux. Près de nous, se trouvait une petite fille, habillée comme Lucie, et à peu près du même âge. Toute joyeuse, elle continuait à crier :
– Je le vois encore… Je le vois encore… Maintenant, il descend ! »
… Il se dirigeait en effet vers le chêne-vert de l’Apparition.
Alors, l’éclat du soleil diminua, l’atmosphère devint jaune d’or, comme les fois précédentes. Le jour baissa tellement que certains rapportèrent avoir distingué les étoiles dans le ciel.
Lucie interrogea la Vierge Immaculée : « Que veut de moi Votre Grâce ?
– Continuez à dire le chapelet afin d’obtenir la fin de la guerre. En octobre, Notre-Seigneur viendra ainsi que Notre-Dame des Douleurs et du Carmel, Saint Joseph avec l’Enfant-Jésus afin de bénir le monde.
« Dieu est satisfait de vos sacrifices, mais il ne veut pas que vous dormiez avec la corde. Portez-la seulement pendant le jour.
– Il y a ici cette petite qui est sourde-muette, Votre Grâce ne voudrait-elle pas la guérir ?
– Au cours de l’année, elle éprouvera du mieux.
– J’ai bien d’autres demandes, les unes pour une conversion, les autres pour une guérison.
– Je guérirai les uns, mais les autres non, parce que Notre- Seigneur ne se fie pas à eux.
– Le peuple voudrait bien avoir ici une chapelle.
– Avec la moitié de l’argent reçu jusqu’à ce jour, que l’on fasse les brancards de procession et qu’on les porte à la fête de Notre-Dame du Rosaire ; que l’autre moitié soit pour aider à la chapelle. »
Lucie raconte encore qu’elle lui présenta deux lettres et un petit flacon d’eau de senteur qui lui avaient été donnés par un homme de la paroisse d’Olival. En les offrant à Notre-Dame, elle lui dit :
« On m’a donné cela. Votre Grâce le veut-elle ?
– Cela ne convient pas pour le Ciel.
– Il y a beaucoup de gens qui disent que je suis une menteuse, que je mériterais d’être pendue ou brûlée. Faites un miracle, pour que tous croient !
– Oui, en octobre, Je ferai le miracle pour que tous croient. »
Et Elle commença à s’élever, disparaissant comme d’habitude. Lucie s’écria alors :
« Si vous voulez La voir, regardez par là ! »
Et elle montra du doigt la direction du levant. Alors, de nouveau, l’on vit le globe lumineux, de forme ovale, prendre son essor et s’éloigner de la Cova da Iria en direction de l’orient. Céleste véhicule qui semblait reconduire la Reine des Anges à sa demeure éternelle.
Pendant le temps de l’Apparition, la plupart des pèlerins avaient joui d’un merveilleux spectacle : ils virent tomber du ciel comme une pluie de pétales blancs, ou de flocons de neige ronds et brillants qui descendaient lentement et disparaissaient en arrivant à terre.
La Vierge Marie donna aussi un autre signe de sa gracieuse présence. Une nuée, agréable à voir, se forma autour de l’arc rustique qui dominait le petit tronc d’arbre déchiqueté. Montant du sol, elle s’amplifia et s’éleva dans les airs jusqu’à atteindre une hauteur de cinq ou six mètres, puis elle s’évanouit comme une fumée qui se dissipe au vent. Peu après, des volutes semblables se formèrent et se dissipèrent de la même manière. Et encore une troisième fois. Tout se passa comme si des thuriféraires invisibles encensaient liturgiquement la Vision. Les trois “ encensements ” durèrent ensemble tout le temps de l’Apparition, c’est-à-dire dix à quinze minutes.
La majeure partie des spectateurs avaient observé ces ravissants phénomènes. De toutes parts, en effet, on entendait des cris de joie et des louanges à Notre-Dame. Certains, cependant, n’avaient rien vu, telle cette femme, simple et pieuse, qui pleurait amèrement en répétant, désolée :
« Je n’ai rien vu… »
La privation de cette consolation fut, pour ces pèlerins-là, une dure épreuve. Il leur restait à faire confiance, aveuglément, à la parole de Notre-Dame, et à continuer d’espérer fermement être plus heureux le 13 octobre : car alors, avait-Elle promis le 13 juillet et à nouveau ce 13 septembre :
Après quelques instants d’intense émotion, les pèlerins se précipitèrent sur les enfants pour les presser de questions. Ce ne fut qu’avec peine que leurs parents parvinrent à les ramener chez eux. Mais leurs maisons furent de nouveau assaillies par les curieux. Les interrogatoires ne cessèrent de pleuvoir, jusqu’au moment où la nuit vint rendre la tranquillité au petit hameau d’Aljustrel.
Chacun des trois enfants, après avoir embrassé son père et sa mère comme chaque soir, mais probablement plus tard que de coutume en ce 13 septembre extraordinaire, se retira, épuisé, dans sa petite chambre. Douce solitude pour repasser en mémoire la Céleste Vision.
Elle était revenue ! Comme Elle était fidèle ! Et Elle avait confIrmé la proche venue de Notre-Seigneur, de Saint Joseph et de l’Enfant-Jésus ! Assurément, cette Apparition du 13 octobre serait plus éclatante encore que les précédentes. Encore plus belle ? Était-ce possible ?
François avait hâte d’interroger Lucie afin de connaître avec précision les paroles de la Vierge Marie qu’il n’avait pas entendues. Il était avide de comprendre les volontés de la Reine du Ciel et non moins empressé d’y correspondre, en bon enfant de Marie.
Jacinthe, elle, avait encore dans l’oreille la voix si douce, si nette de l’Immaculée. Le premier souci de cette tendre Mère n’avait-il pas été de transmettre le contentement de leur bon Père Céleste pour leurs sacrifices ? Le bon Dieu était satisfait. Quelle parole merveilleuse et si encourageante ! « Consolez votre Dieu ! » avait dit l’Ange, l’année précédente. Mais voici que Dieu à son tour consolait ses consolateurs. Quelle intimité entre le Père Éternel et ses dévoués serviteurs.
Quelle sollicitude aussi ! Les paroles de la Dame résonnaient dans le cœur de Jacinthe avec un accent maternel inoubliable : « … mais Il ne veut pas que vous dormiez avec la corde. » Lucie avait donc eu raison de conseiller à sa cousine de proportionner ce sacrifice à ses forces. Jacinthe, sans doute dès ce soir-là, abaissa son regard sur le gros nœud qui tenait lié à sa taille ce rude instrument de pénitence et le délia, par obéissance. Par obéissance, elle s’imposerait de renouer la corde le lendemain matin puisque telle était la volonté du bon Dieu : « Portez-la seulement pendant le jour. » Le frottement de la corde raviverait alors l’écorchure de la peau, mais qu’était-ce en comparaison des épines que Jacinthe avait vues s’enfoncer dans le Cœur si tendre de la Vierge Immaculée ? Inoubliable vision de ce Cœur virginal entouré par une sorte de tige d’ajonc sauvage. Puisque sa Mère souffrait, l’enfant voulait partager et apaiser cette souffrance par son propre sacrifice volontaire. La force, l’un des sept dons du Saint-Esprit, enhardissait son âme.
Pour l’heure, Jacinthe dissimula probablement sa précieuse corde sous son oreiller. Il ne s’agissait pas que sa mère la voie, sinon ce coin de voile levé sur les mortifications de sa petite fille chérie ne manquerait pas de l’alarmer. La discrétion absolue s’imposait donc pour offrir à Dieu seul ce sacrifice dans le secret du cœur. Et il en était de même pour son frère et sa cousine.
De son côté, en grande fille déjà sérieuse, Lucie se rappelait surtout le visage grave de la Vierge Marie : Elle n’avait pas non plus souri cette fois-ci, à aucun moment.
Aux demandes de guérison, Notre-Dame avait répondu avec bonté, mais avec quelle fermeté aussi ! La santé de l’âme vaut certes mieux que la santé du corps. Et le Très-Haut qui sonde les reins et les cœurs, ne fait pas confiance aux âmes mondaines et superficielles, qui réclament l’amélioration corporelle sans nul désir de conversion intérieure. « Je guérirai les uns, mais les autres non, parce que Notre-Seigneur ne se fie pas à eux. » Des guérisons du corps, la Vierge Marie ne parlait jamais la première. Mais de celles de l’âme, oui ! Et elle en indiquait les moyens.
Elle voulait ses brancards de procession pour la fête de Notre-Dame du Rosaire !
De même, Elle voulait une chapelle : un lieu où le culte de son Divin Fils serait célébré, où le Saint-Sacrifice de la messe serait offert pour la gloire de Dieu, pour la conversion et le salut des âmes, où les fidèles viendraient réciter le chapelet, prier sans cesse. En un mot, elle voulait l’établissement du culte populaire qui plaît à Dieu.
Quant aux deux lettres et au flacon d’eau de senteur offerts par le paroissien d’Olival, Notre-Dame avait réglé avec simplicité cette question minime.
Car l’important, c’était le prochain rendez-vous, avec cette promesse du grand miracle…
Mais, vaincue par la fatigue, Lucie, comme ses petits cousins, s’endormit bientôt.
SAMEDI 13 OCTOBRE 1917 :
« Je suis Notre-Dame du Rosaire »
Un chauffeur prit Jacinthe dans ses bras.
« Le 13 octobre, raconte le père de Jacinthe et François, après beaucoup d’efforts, et après avoir été arrêtés souvent en chemin, nous parvînmes enfin à la Cova da Iria.
« La foule était si serrée qu’on ne pouvait la traverser. Alors, un chauffeur prit dans ses bras ma Jacinthe et, à force de bourrades, s’ouvrit un passage jusqu’aux poteaux où pendaient les lanternes, en criant :
– Laissez passer les petits qui ont vu Notre-Dame !
« Je me mis à leur suite. Jacinthe, en me voyant au milieu de tant de gens, se mit à crier, effrayée :
– N’étouffez pas mon Papa ! N’étouffez pas mon Papa !
« L’homme qui portait Jacinthe la mit enfin à terre, près du chêne-vert. Mais là aussi, la foule était dense, et la petite pleurait. Alors Lucie et François la mirent entre eux.
« Mon Olimpia était par là, d’un autre côté, je ne sais où. Mais ma commère Maria Rosa réussit à se mettre tout près de nous. Poussé par la foule, je me trouvai un peu écarté à un certain moment, et je remarquai un homme de mauvaise mine, qui appuya un bâton sur mon épaule. Je pensai en moi-même :
– Cela pourrait être le commencement du désordre !
« La foule faisait des remous, d’un côté et de l’autre. Mais au moment de l’Apparition, tout le monde se tut et resta tranquille. »
Aperçu sur la Cova da Iria durant la matinée du 13 octobre 1917. Soixante-dix mille personnes seront témoins du grand miracle.
Quant à Antonio, qui avait réussi à faire passer sa femme à travers la foule, il se trouva éloigné de Lucie par ces mêmes remous, et sa fille ne le revit plus jusqu’à ce qu’elle le retrouve le soir, au sein de la famille.
Il était à peu près 1 heure de l’après-midi, heure légale, et il continuait à pleuvoir.
« Nous étions parvenus à la Cova da Iria, près du chêne-vert, raconte Lucie, quand je me sentis poussée par un mouvement intérieur, et demandai à la foule de fermer les parapluies pour réciter le chapelet. »
Du haut de la route, abrités dans leurs voitures, tous ceux qui n’avaient pas eu le courage de s’aventurer dans le bourbier argileux de la Cova assistèrent alors à un spectacle stupéfiant :
« À un moment donné, nota l’un d’eux, cette masse confuse et compacte fenna les parapluies, se découvrant ainsi dans un geste qui devait être d’humilité ou de respect, mais qui me laissa surpris et plein d’admiration, car la pluie, avec obstination, mouillait toujours les têtes, détrempait et inondait tout. »
Cependant, quelques minutes avant le miracle, il cessa de pleuvoir. Le soleil perça victorieusement l’épaisse couche de nuages qui le cachait jusque-là, et brilla intensément.
À l’heure des montres, il était presque 13 h 30, c’est-à-dire environ midi à l’heure solaire. En effet, pour adopter l’heure des belligérants, le gouvernement portugais avait alors imposé au pays une heure légale qui avançait de quatre-vingt-dix minutes sur l’heure solaire.
Tout à coup, les trois enfants virent l’éclair, et Lucie s’écria :
« Silence ! Silence ! Notre-Dame va venir ! Notre-Dame va venir ! »
Maria Rosa, qui avait réussi à rester là, toute proche, n’oublia pas de donner à son enfant un conseil maternel :
« Regarde bien, ma fille. Prends garde de ne pas te tromper ! »
Mais Notre-Dame apparaissait déjà au-dessus du chêne-vert, posant ses pieds sur les rubans de soie et les fleurs, pieusement disposés la veille par la fidèle Maria Carreira.
Alors, le visage de Lucie devint de plus en plus beau et prit une teinte rose ; ses lèvres s’amincirent. Jacinthe, dans un geste de sainte impatience, donna un coup de coude à sa cousine et lui dit :
« Parle, Lucie, Notre-Dame est déjà là ! »
Lucie revint à elle-même, respira deux fois profondément, comme quelqu’un qui n’avait plus le souffle, et commença son entretien, d’une politesse toujours aussi exquise, avec Notre-Dame.
« Que veut de moi Votre Grâce ?
– Je veux te dire que l’on fasse ici une chapelle en mon honneur. Je suis Notre-Dame du Rosaire. Que l’on continue toujours à réciter le chapelet tous les jours. La guerre va finir et les militaires rentreront bientôt chez eux.
– J’avais beaucoup de choses à vous demander : de guérir quelques malades et de convertir quelques pécheurs, etc.
– Les uns oui, les autres non. Il faut qu’ils se corrigent, qu’ils demandent pardon pour leurs péchés.
Et, prenant un air plus triste :
– Que l’on n’offense pas davantage Dieu, Notre-Seigneur, car Il est déjà trop offensé !
– Vous ne voulez rien de plus de moi ?
– Non, je ne veux rien de plus de toi.
– Alors, moi, je ne demande rien non plus. »
Comme le 13 septembre, pendant que Notre-Dame s’entretenait avec Lucie, la foule put voir par trois fois se former autour du chêne-vert la même nuée qui s’élevait ensuite dans l’air avant de se dissiper.
Un autre signe se renouvela pour la seconde fois, lorsque Notre-Dame remonta dans le ciel, au moment où Lucie s’écria :
« Elle s’en va ! Elle s’en va ! »
« À cet instant, rapporte Maria dos Anjos, ma mère sentit le même parfum que celui du 19 août ! »
Puis Lucie cria :
« Regardez le soleil ! »
« Ouvrant alors les mains, raconte Lucie, Notre-Dame les fit se réfléchir sur le soleil et, pendant qu’Elle s’élevait, le reflet de sa propre lumière continuait à se projeter sur le soleil. »
« Ce fut alors que l’on put regarder parfaitement le soleil, rapporte le père de Jacinthe et de François, sans en être incommodé. On aurait dit qu’il s’éteignait et se rallumait, tantôt d’une manière, tantôt d’une autre. Il lançait des faisceaux de lumière, de-ci, de-là, et peignait tout de différentes couleurs : les arbres, les gens, le sol, l’air. Mais la grande preuve du miracle était que le soleil ne faisait pas mal aux yeux. »
« Ce fut alors que l’on put regarder parfaitement le soleil, rapporte le père de Jacinthe et de François, sans en être incommodé. On aurait dit qu’il s’éteignait et se rallumait, tantôt d’une manière, tantôt d’une autre. Il lançait des faisceaux de lumière, de-ci, de-là, et peignait tout de différentes couleurs : les arbres, les gens, le sol, l’air. Mais la grande preuve du miracle était que le soleil ne faisait pas mal aux yeux. »
Nul n’aurait pu imaginer ce qui survint alors : le soleil eut quelques secousses puis se mit à tourner sur lui-même.
« Tout le monde demeurait immobile. Tout le monde se taisait… Tous regardaient le ciel. À un certain moment, le soleil s’arrêta, et puis recommença à danser, à tournoyer ; il s’arrêta encore une fois, et se remit encore une fois à danser, jusqu’au moment, enfin, où il parut se détacher du ciel et s’avancer sur nous. Ce fut un instant terrible ! »
Maria Carreira décrit dans les mêmes termes la stupéfiante chute du soleil :
« Il produisait différentes couleurs : jaune, bleu, blanc ; et il tremblait, tremblait tellement ! il semblait une roue de feu qui allait tomber sur la foule. On criait : “ Ô Jésus ! nous allons tous mourir ! ” “ Ô Jésus ! nous mourons tous ! ” D’autres s’écriaient : “ Notre-Dame, au secours ! ” Et ils récitaient l’acte de contrition. Il y avait même une dame qui faisait sa confession générale, et disait à haute voix : “ J’ai fait ceci, j’ai fait cela… et cela encore ! ”
« Finalement, le soleil s’arrêta, et tous poussèrent un soupir de soulagement. Nous étions vivants, et le miracle annoncé par les enfants avait eu lieu. »
La promesse de Notre-Dame s’était réalisée à la lettre. Tous avaient vu. Maria Rosa aussi ! Son témoignage fut donc d’autant plus probant que son opposition avait été, depuis le début, tenace et systématique.
« Maintenant, déclarait-elle, on ne peut pas ne pas y croire ; car le soleil, personne ne peut y toucher. »
Durant les dix minutes où la foule put contempler le grandiose miracle cosmique, les trois voyants jouissaient d’un spectacle différent. La Vierge Marie réalisait pour eux ses promesses du 19 août et du 13 septembre. Il leur fut donné d’admirer, en plein ciel, trois tableaux successifs. Écoutons Lucie :
La vision de la Sainte Famille
« Notre-Dame ayant disparu dans l’immensité du firmament, nous avons vu, à côté du soleil, Saint Joseph avec l’Enfant-Jésus et Notre-Dame vêtue de blanc avec un manteau bleu. Saint Joseph et l’Enfant-Jésus semblaient bénir le monde avec des gestes qu’ils faisaient de la main en forme de croix. »
La vision de Notre-Dame des Douleurs
« Peu après, cette Apparition ayant cessé, j’ai vu Notre-Seigneur, et Notre-Dame qui me donnait l’impression d’être Notre-Dame des Douleurs. Notre-Seigneur semblait bénir le monde, de la même manière que Saint Joseph. »
La vision de Notre-Dame du Mont-Carmel
« Cette Apparition disparut, et il me sembla voir encore Notre-Dame sous l’aspect de Notre-Dame du Carmel, parce qu’Elle avait quelque chose qui pendait de sa main. » Ce “ quelque chose ” était le scapulaire.
Lorsque le soleil reprit sa place, mais pâle et sans éclat, se produisit un fait inexplicable naturellement. Tous ces gens, qui avaient été trempés par la pluie, se trouvèrent soudain, avec joie et stupéfaction, complètement secs. La Très Sainte Vierge avait ainsi multiplié les merveilles, en Mère attentive et bienfaisante, pour confirmer la vérité des affirmations des enfants.
On remarqua aussi avec étonnement et soulagement que, dans la masse des gens qui empruntèrent des moyens de transport si nombreux et si divers, pas un seul accident ne fut à déplorer ni un seul désordre à enregistrer.
« Alors, raconte le docteur Carlos Mendès, je pris Lucie dans mes bras pour la porter jusqu’à la route. Ainsi, mon épaule fut la première tribune d’où elle a prêché le message que venait de lui confier Notre-Dame du Rosaire.
« Avec un grand enthousiasme et une grande foi, elle criait :
– Faites pénitence ! Faites pénitence ! Notre-Dame veut que vous fassiez pénitence. Si vous faites pénitence, la guerre finira… »
Faire pénitence, en portugais, équivaut à “ se convertir ”, “ revenir à Dieu ”,“ fuir le péché ”, et non “ faire des pénitences, des mortifications ”.
« Elle paraissait inspirée… C’était vraiment impressionnant de l’entendre. Sa voix avait des intonations comme la voix d’un grand prophète. »
Aussitôt après le miracle, les témoins harcelèrent de nouveau les voyants d’innombrables questions. Autour d’eux, la foule des curieux était comme une fourmilière.
« Un souvenir que j’ai conservé de ce jour, rapporte Lucie, est que j’arrivai à la maison sans mes nattes, qui me tombaient plus bas que la ceinture. Je me rappelle le mécontentement de ma mère quand elle me vit avec encore moins de cheveux que François ! Qui me les a volés ? Je ne sais pas. Dans la foule qui nous serrait, il ne manquait pas de ciseaux ni de voleurs. Mon foulard, lui, aurait pu se perdre facilement, sans qu’il fût volé. Mes tresses avaient été pas mal écourtées les deux derniers mois. Patience ! Rien ne m’appartient. Tout appartient à Dieu. Qu’Il en dispose donc comme il Lui plaît ! »
Une telle presse autour des trois petits et cette avalanche de questions avaient commencé dès le matin et n’avaient pas cessé depuis, sans leur laisser le moindre instant de répit. Ils passèrent ensemble l’après-midi de cette journée, mais la multitude cherchait à les voir et à les observer, comme s’ils étaient des bêtes curieuses. Le soir, ils étaient épuisés.
« Plusieurs personnes qui n’avaient pu m’interroger, dit Lucie, restèrent jusqu’au lendemain à attendre leur tour. Quelques-uns voulurent encore me parler à la veillée. Mais moi, vaincue par la fatigue, je me laissai tomber sur le plancher pour dormir. »
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